L’apologétique catholique (XVIIIe-XXe s.), projet

En 1907, le dominicain Ambroise Gardeil relevait : « S’il est une doctrine mal définie et dont l’objet et la méthode demeurent un problème pour les théologiens, c’est assurément l’apologétique » (La crédibilité et l’apologétique). Cette considération invite à poser deux remarques :

1° L’auteur écrit ces lignes à l’heure où est mise en place une revue spécialisée dans l’apologétique (Revue pratique d’apologétique, 1905-1921), la première dont le titre comprend expressément le terme ; à l’heure aussi où est lancé le projet du Dictionnaire apologétique de la foi catholique. Le P. Gardeil signale d’ailleurs en note dans la réédition de son ouvrage en 1912 que sa remarque est désormais moins valable : de nombreux travaux ont désormais « modifié l’ancien état des choses ». À titre d’hypothèse, on peut donc penser qu’il y a bien un moment apologétique de la première décennie du XXe siècle qui a répondu à une nécessité de mise au point, voire de redéfinition.

2° Il semble que le problème posé par l’apologétique se trouve surtout dans sa nature : démonstration rationnelle et philosophique de la foi, ou partie de la théologie, dite « théologie fondamentale ». Double nature de l’apologétique qui donne lieu, d’une part, à la production de traités de théologie qui démontrent les dogmes fondamentaux – c’est l’apologétique positive –, d’autre part, à la publication de réponses circonstanciées à des attaques spécifiques – c’est l’apologétique défensive, qui relève de la tradition classique de l’apologie. Une mise en perspective historiographique conjointe de l’une et de l’autre approche s’impose dès lors. En plaçant au coeur de ses analyses la notion capitale de crédibilité, le P. Gardeil a parfaitement ressaisi les enjeux vitaux de la démarche apologétique en général.

À partir du XVIIIe siècle, l’apologétique catholique a été confrontée à des défis nouveaux : il ne s’agit plus seulement d’illustrer les vérités de la foi face à des interprétations hétérodoxes, mais de défendre aussi les fondements mêmes de la foi. Évolution qui implique nombre de modifications au sein de l’apologétique. Il y a, d’abord, un élargissement du public visé par les auteurs : au fil du XIXe siècle, les débats théologiques, si techniques soient-ils, cessent définitivement d’être réservés à l’espace restreint d’une élite cléricale. Le fait croyant est de plus en plus abordé comme un fait anthropologique, objet de spéculations et d’interrogations qui dépossèdent l’institution ecclésiale de son monopole en matière de discours sur l’homo religiosus. Il y a, ensuite, un changement de méthode qui se signale par le recours plus pressant aux disciplines profanes, à l’instar de l’histoire ou des sciences naturelles. L’apologétique touche à l’ensemble des difficultés soulevées par l’articulation entre la tradition catholique et les valeurs des sociétés démocratiques, armées des savoirs positifs et soumises au règne de l’opinion. Éléments qui réorientent l’apologétique sur la longue durée et forment l’axe d’étude que l’on envisage ici d’adopter. Indice du sourd travail auquel est livrée l’apologétique catholique, on assiste, à partir des années 1880, à l’apparition de revues et de dictionnaires spécifiques. Sous réserve d’une enquête plus approfondie, il semble qu’il existe une spécificité française dans le champ de l’apologétique catholique des XIXe et XXe siècles, même si l’on n’entend évidemment pas laisser de côté la circulation des débats et le poids des influences entre les différentes catholicités nationales. De même est-il nécessaire d’envisager la contribution de l’apologétique protestante aux discussions.

La recherche ici définie poursuivra deux objectifs et se déploiera en plusieurs étapes :

1° D’abord, une histoire de l’apologétique catholique française, de ses scansions, de ses moments, de ses acteurs et ses instruments (traités, dictionnaires et revues).

2° Ce cadre général doit ensuite déboucher sur une entreprise de recension des matières qui sont au coeur des débats. Le travail final peut prendre la forme d’un dictionnaire dont les entrées seront réservées aux thèmes les plus sensibles et le plus largement débattus, qu’ils signalent un moment spécifique de l’apologétique ou qu’ils s’inscrivent dans la durée.

L’ensemble entend former à terme un précieux répertoire des liens entre religion et modernité et, dans une logique dialectique et en creux, un répertoire de cette modernité elle-même.

Premières journées : Université de Savoie, 27-28 mai 2021

Objets et méthodes de l’apologétique

De l’apologie à l’apologétique (xviie-xviiie siècles) : Frédéric Meyer

L’apologétique : définitions, objets, méthodes: Sylvain Milbach

Apologétique et théologie fondamentale (fin XIXe siècle-mi-XXe siècle) : Sylvio De Franceschi

Apologétique et philosophie (XXe siècle) : Florian Michel

Apologétique et littérature (mi-XIXe-mi-XXe siècle) : Alexandra Delattre

Apologétique et art (XVIIIe-XXe siècle) : Isabelle Saint-Martin

Les apologistes du dehors, de Maurras à Houellebecq : Yann Raison du Cleuziou

Moments

L’apologétique et le choc révolutionnaire : Caroline Blanc-Chopelin

L’apologétique romantique : Philippe Boutry

L’apologétique au temps du positivisme : Pierre-Yves Kirschleger

Apologétique catholique française et modernisme : Paul Airiau

Du moment des années 30 au début des années 60 : Simon Icard

Apologétique et théologie fondamentale des années 60 à nos jours : Henry Donneaud

Contacts :

Sylvio De Franceschi (École Pratique des Hautes Études, LEM, UMR 8584) : sylvio.defranceschi@ephe.psl.eu

Sylvain Milbach (Université Savoie Mont-Blanc, LLSETI, EA 3706) : Sylvain.Milbach@univ-smb.fr

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